Recension de L’empire du politiquement correct de Mathieu Bock-Côté, publié en avril 2019 aux Éditions du Cerf.
Trois ans après la publication du Multiculturalisme comme religion politique et deux ans après Le nouveau régime, Mathieu Bock-Côté revient à la charge contre l’idéologie dominante en Occident avec un ouvrage sur la rectitude politique, publié aux Éditions du Cerf. Dans L’empire du politiquement correct, le sociologue décortique le traitement médiatique des idéologies au XXIe siècle pour plonger au cœur des rapports entre la gauche et la droite. C’est là une réflexion éclairante et essentielle, de même qu’un pari réussi pour Bock-Côté, qui sort de son thème fétiche du multiculturalisme afin de décortiquer le politiquement correct.
Le conformisme ou l’ostracisme
La première partie de L’empire du politiquement correct se consacre principalement au système médiatique et à sa manière parfois perverse d’orienter le débat selon le sens de l’idéologie dominante, aux dépens du pluralisme idéologique fondamental à toute démocratie. Pensons au concept de « dérive » ou de « dérapage » pour décrire un intervenant qui ferait entorse à la pensée imposée : « La formule mérite qu’on s’y attarde. Elle révèle que le débat public est une route étroite, bien balisée, en plus de cela patrouillée par des agents de circulation appelés à distribuer des contraventions idéologiques à ceux qui s’en éloignent. » (p. 67) Ainsi, un intervenant qui serait coupable de trop de « dérapages » (sans perdre sa tribune) se verra attribuer le titre peu flatteur de « personnalité controversée » ou encore de « polémiste », des étiquettes qui collent à la peau ayant pour fonction de discréditer leur propos. Parlez-en à Pierre Bourgault ou à Richard Martineau.
[L’idée du « dérapage »] révèle que le débat public est une route étroite, bien balisée, en plus de cela patrouillée par des agents de circulation appelés à distribuer des contraventions idéologiques à ceux qui s’en éloignent.
Autre stratégie du contrôle du débat servant la rectitude politique, la moralisation du débat politique est décortiquée par Bock-Côté. Il suffit d’évoquer la prolifération de « phobies » en tout genre, une tentative de « psychiatrisation de la dissidence », dirait l’auteur. (p. 33) On tentera aussi d’inscrire la censure et l’obligation diversitaire dans la marche ininterrompue du progrès, comme ce fut le cas lors du fameux « Because it’s 2015 » de Justin Trudeau à propos de son cabinet « diversifié », « l’argument du calendrier [faisant] office d’argument d’autorité ». (p. 31) Le but de cette vaste entreprise : édifier un débat politique manichéen entre le bien et le mal, où seule une option est moralement acceptable.
Gauche choisie et droite imposée
Cet examen de l’idéologie dominante de notre temps pousse Bock-Côté à remonter aux racines du politiquement correct, soit les relations entre la gauche et la droite. Il brosse le portrait d’une gauche qui « existe, parce qu’elle se nomme comme telle » et d’une droite qui « donne aisément l’image d’un rassemblement de proscrits », car elle est systématiquement définie par la gauche plutôt que par elle-même. (p. 91) Ainsi, on retrouve techniquement des gens comme Mathieu Bock-Côté et François Lambert « à droite », même s’ils n’ont absolument rien en commun, sinon de ne pas appartenir à la gauche.
Être de gauche consiste à avoir raison même lorsqu’on a tort, parce qu’on se trompe alors pour de justes raisons. Être de droite consiste à avoir tort même lorsqu’on a eu raison, car on aura eu raison pour des raisons idéologiques inadmissibles.
À cause de cette différence originelle qui consacre la domination idéologique de la gauche, laquelle se définit elle-même autant qu’elle définit ses adversaires, l’auteur illustre que la gauche a pu prendre l’ascendant sur la droite au point de dominer complètement l’imaginaire collectif dans l’objectif manifeste de s’approprier le monopole de la vertu, ou « le monopole du cœur » dans les mots de Giscard d’Estaing. MBC le résume comme suit : « Être de gauche consiste à avoir raison même lorsqu’on a tort, parce qu’on se trompe alors pour de justes raisons. Être de droite consiste à avoir tort même lorsqu’on a eu raison, car on aura eu raison pour des raisons idéologiques inadmissibles ». (p. 100)
Éloge du conflit civilisé
Résultat de cette hégémonie idéologique, l’auteur en vient à la conclusion que la gauche n’a pas d’adversaires, seulement des ennemis : « [le progressisme] ne se représente pas le conflit politique comme une lutte entre des conceptions relatives et nécessairement approximatives du bien commun, mais entre l’empire du bien et l’empire du mal ». (p. 115) C’est justement pour cette raison que la liberté d’expression est devenue un concept « de droite », parce qu’on ne censure plus que la parole de droite, dans l’opprobre moral le plus complet.
[Le progressisme] ne se représente pas le conflit politique comme une lutte entre des conceptions relatives et nécessairement approximatives du bien commun, mais entre l’empire du bien et l’empire du mal.
Afin de lutter contre une hégémonie idéologique qui tue toute tentative de divergence, l’auteur invite en conclusion à « [redécouvrir] le pluralisme inévitable de la cité, avec des hommes en désaccord entre eux sur les grandes questions ». (p. 258) Plaidant pour que les ennemis redeviennent des adversaires, Bock-Côté dit souhaiter la fin de cet « imaginaire de la guerre civile » qui fait du débat politique actuel une lutte à finir entre le bien et le mal pour en arriver à un conflit réel, mais plus serein. (p. 263)
Une réflexion indispensable sur notre époque
Avec son Empire du politiquement correct, Mathieu Bock-Côté prouve une fois de plus son statut de chef de file du conservatisme québécois. Alors que l’on pouvait s’attendre à une simple étude du système médiatique, le sociologue dépasse les attentes en retournant aux sources du politiquement correct, à même le rapport fondamental qui unit la droite à la gauche. Ce passage constitue d’ailleurs le moment fort de l’ouvrage, analysant la dynamique idéologique de notre époque de manière nouvelle.
Avec son Empire du politiquement correct, Mathieu Bock-Côté prouve une fois de plus son statut de chef de file du conservatisme québécois.
Il va sans dire que ce livre est plus que pertinent en notre ère, alors que la rectitude politique est devenue un concept-clé de la démocratie au quotidien. C’est donc avec sa plume littéraire habituelle et avec son regard aiguisé sur le débat politique occidental que Bock-Côté nous livre une de ses plus grandes œuvres jusqu’à maintenant, qui marquera certainement les esprits des deux côtés de l’Atlantique comme avait su le faire Le multiculturalisme comme religion politique en 2016.