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Duplessis est encore en vie : La mémoire du « cheuf »

À une époque où la légende de la Grande Noirceur est de plus en plus nuancée, Duplessis est encore en vie de Pierre B. Berthelot, paru le 2 février dernier aux Éditions du Septentrion, analyse les représentations de Maurice Duplessis depuis sa mort en 1959. En s’intéressant à l’héritage symbolique du « cheuf », Berthelot décortique ce personnage singulier de notre histoire politique et la trace indélébile qu’il a laissé dans l’imaginaire national, tout en jetant un regard critique sur les mythes qui structurent la conscience historique québécoise.

Trois biographies, trois Duplessis

La majeure partie de Duplessis est encore en vie se consacre aux trois œuvres biographiques majeures dont le fondateur de l’Union nationale a été l’objet, soit Maurice Duplessis et son temps de Robert Rumilly, Duplessis de Conrad Black et la série télévisée écrite par Denys Arcand. Chacune d’entre elles étant contextualisée par une note biographique sur son auteur, on remarque qu’ils ont en quelque sorte façonné un Duplessis à leur image.

Ces trois représentations ont façonné la mémoire collective, et Berthelot les dissèque en détail, rappelant au passage les meilleures anecdotes sur Duplessis, de ses innombrables provocations de l’opposition à la fois où il aurait uriné sur la frontière entre le Québec et le Labrador.

Ainsi, Rumilly le monarchiste français dépeint le « cheuf » comme « le roi du Québec », un être prédestiné au pouvoir incarnant le Québec et son époque comme personne. Conrad Black, quant à lui, le caractérise comme une « adorable canaille » raffolant du conflit et du combat politique. Denys Arcand, cynique devant l’éternel, en fait un nationaliste sincère, bien que conscient de la situation peu avantageuse du peuple québécois, représentant la victoire du réel sur l’idéal. Ces trois représentations ont façonné la mémoire collective, et Berthelot les dissèque en détail, rappelant au passage les meilleures anecdotes sur Duplessis, de ses innombrables provocations de l’opposition à la fois où il aurait uriné sur la frontière entre le Québec et le Labrador.

L’homme de la situation

Si l’auteur se penche également sur des essais récents sur Duplessis, de même que sur le traitement réservé à sa mémoire d’une décennie à l’autre, Duplessis est encore en vie brille de par la capacité d’analyse de son auteur, qui soulève des questions fascinantes sur la légende de la Grande Noirceur. Comme il l’avance à quelques reprises, le chef unioniste a tellement marqué son époque qu’on l’associe à elle au point de lui faire porter le chapeau pour tous ses maux.

À bien des égards, Maurice Duplessis aurait été l’homme de la situation pour mener une politique du « Québec d’abord », devenue la norme par la suite.

Dans un chapitre intitulé « Les libéraux auraient-ils fait pareil? », l’auteur nuance cette perception, rappelant que l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité la Loi du cadenas en 1937, qu’Adélard Godbout n’a pas abrogée suite à la victoire libérale de 1939. Pierre B. Berthelot avance cependant qu’un gouvernement libéral entre 1945 et 1959 aurait sans doute davantage développé l’État du Québec et son filet social, sans pour autant avoir ce souci de l’autonomie québécoise qu’a entretenu l’UN et qui est demeuré au cœur de la Révolution tranquille. À bien des égards, Maurice Duplessis aurait été l’homme de la situation pour mener une politique du « Québec d’abord », devenue la norme par la suite.

Toujours en vie

On ne peut traiter de la Grande Noirceur sans aborder sa jumelle, la Révolution tranquille, et l’auteur se penche sur une question cruciale: les raisons de la longévité de ces deux mythes qui structurent encore aujourd’hui la conscience collective. Berthelot voit dans la Grande Noirceur une catégorie commode où rejeter dans le passé les idées et principes que l’on juge incompatibles avec le Québec d’aujourd’hui, lequel serait né en 1960 de la cuisse de Jean Lesage. Il évoque également le fait que les archives de Duplessis soient longtemps restées privées, de même que ce qu’il qualifie de crise de l’enseignement de l’histoire au Québec, pour expliquer que ces légendes durent encore.

Si les Québécois ont réellement tourné la page sur la question constitutionnelle, alors il faudra réévaluer le traitement accordé à Duplessis.

Pierre B. Berthelot conclut avec une pensée portant à réfléchir : si les Québécois ont réellement tourné la page sur la question constitutionnelle et qu’ils choisissent de continuer à progresser comme nation autonome au sein du Canada, alors il faudra réévaluer le traitement accordé à Duplessis, qui a incarné cet idéal à sa manière avant que ne renaisse l’idée d’indépendance avec la Révolution tranquille.

Un ouvrage indispensable

C’est à n’en point douter, Duplessis est encore en vie de Pierre B. Berthelot constitue un ouvrage indispensable pour les passionnés d’histoire québécoise. En plus d’analyser avec justesse l’héritage symbolique du chef de l’Union nationale depuis son décès, il pose un regard perçant sur les mythes qui habitent la conscience québécoise depuis les années 1960.

Voilà une contribution essentielle au débat toujours en cours sur la Grande Noirceur et la Révolution tranquille, alors que nous commençons collectivement à prendre plus de recul face à ces événements. Comme le dit son titre, Maurice Duplessis est encore en vie dans la mémoire québécoise, où il occupe une place singulière et ne laisse personne indifférent.

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