Texte publié dans Le Soleil le 29 novembre 2021.
Suite à l’hécatombe de l’élection de 2018, les libéraux voient bien qu’ils doivent se réinventer pour espérer retrouver le pouvoir à courte échéance. S’il leur suffisait jadis de crier «référendum!» pour gagner un mandat majoritaire, cette tactique éculée ne fonctionne plus dans un climat politique désormais structuré autour de la question identitaire. Dominique Anglade n’est pas folle, elle voit très bien que c’est Québec solidaire qui incarne l’opposition officielle dans l’esprit de nombreux électeurs, car la formation politique campée à gauche est en porte-à-faux avec les politiques de la CAQ sur à peu près tous les enjeux.
Dans la mesure où la défense du multiculturalisme et du fédéralisme canadien se déplace de plus en plus à gauche, en parallèle avec le virage au centre droite du nationalisme, on peut aisément comprendre pourquoi le Parti libéral sent le besoin de devenir le parti progressiste du gouvernement. Il lui faut survivre idéologiquement dans une joute dominée par la CAQ, qui attire actuellement tout ce qui est nationaliste et centriste.
Dominique Anglade n’est pas folle, elle voit très bien que c’est Québec solidaire qui incarne l’opposition officielle dans l’esprit de nombreux électeurs.
Il s’agit peut-être d’un bon calcul politique, mais il ne faut pas pour autant ignorer le passif de la marque libérale, historiquement proche des milieux économiques et d’un certain électorat conservateur pas du tout hostile au nationalisme. Au temps de Jean Charest, jamais on n’aurait vu le parti adopter une résolution promettant de créer des «safe spaces» et d’enseigner les théories du «privilège blanc», du «racisme systémique» et de «l’appropriation culturelle» à l’école. La gauchisation du PLQ semble aussi être une wokisation.
Beaucoup de partisans se grattent la tête devant ce virage qui ne leur ressemble pas du tout. Il suffit de penser à des gens comme Benoît Pelletier, ex-ministre sous Jean Charest: fédéraliste, il n’en demeure pas moins un nationaliste sincère, qui a défendu le droit du Québec d’adopter la loi 21. Que choisiront les Benoît Pelletier de ce monde s’ils ont le choix entre un Parti libéral multiculturaliste de gauche et une CAQ nationaliste plus au centre?
Si le pari risqué de Dominique Anglade échoue, c’est échec et mat pour les libéraux.
Dans la mesure où le Québec se polarise actuellement autour de la question identitaire, il faut se demander s’il y a suffisamment de progressistes multiculturalistes au Québec pour gagner un mandat majoritaire face à François Legault, qui a réussi à coaliser tous les nationalistes, sauf la poignée d’indéfectibles électeurs du Parti québécois. Le virage à gauche libéral est une bonne décision sur le plan des idées, mais il pourrait s’avérer désastreux s’il devient clair que l’électorat bleu est trop nombreux pour être contourné avec une coalition formée des non-francophones et des progressistes qui penchent actuellement vers Québec solidaire. Si le pari risqué de Dominique Anglade échoue, c’est échec et mat pour les libéraux.