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Convoi des camionneurs à Ottawa: «La pandémie révèle une importante volonté de sécession»

Texte publié dans Le Figaro le 1er février 2022.

Depuis vendredi dernier, le centre-ville d’Ottawa, la capitale canadienne, est paralysé par des camionneurs et des manifestants qui réclament la levée des mesures sanitaires au pays. La bougie d’allumage de ce soi-disant «convoi pour la liberté» est la décision récente du premier ministre Justin Trudeau de rendre la vaccination obligatoire aux camionneurs qui traversent la frontière canado-américaine. Si cette annonce plutôt ciblée a déclenché de telles passions, c’est qu’elle a réveillé une fracture sociale qui grandit en douce depuis des mois.

Autour de la question des mesures sanitaires, plus particulièrement de la vaccination, un fossé ne cesse de grandir entre la vaste majorité qui accepte ou tolère ces exigences, et une minorité sceptique inaudible dans les médias et chez les politiques. À la différence de la France, où le passe vaccinal a été l’objet de débats intellectuels et parlementaires, ces objections n’ont pu se faire entendre dans la joute politique canadienne, sinon via des partis marginaux.

Plus encore, Justin Trudeau a mené la campagne électorale de l’automne 2021 en exploitant cyniquement la question de l’obligation vaccinale dans le but de piéger ses adversaires conservateurs en les faisant passer pour antivaccins, jouant sur leurs réticences à contraindre tous les fonctionnaires canadiens à se faire vacciner. Plutôt que de garder une saine distance par rapport à des enjeux avant tout scientifiques, le premier ministre s’en est servi à dessein pour cliver, et cette irresponsabilité le rattrape aujourd’hui.

Même s’il est impératif de se faire vacciner pour endiguer cette épidémie, il n’est jamais sage de monter les citoyens les uns contre les autres dans l’unique but de gagner une élection, sans se préoccuper des retombées d’une telle stratégie sur la cohésion sociale. En faisant sciemment des non-vaccinés et des critiques des mesures sanitaires des repoussoirs politiques, Trudeau a été l’artisan de leur radicalisation, de telle sorte qu’ils se retrouvent de moins en moins dans le narratif médiatico-politique. Il n’est pas impossible qu’il en ait poussé plus d’un dans les bras des complotistes, nuisant paradoxalement à son objectif de vaccination maximale.

Car à l’origine de ce mouvement qui a fait boule de neige, on trouve des groupes peu recommandables, liés à une mouvance conspirationniste militante issue de l’ouest canadien. On aurait pourtant tort de balayer du revers de la main ce qui se passe à Ottawa en y voyant l’action de ces seuls groupuscules. Si le «convoi pour la liberté» a su mobiliser plusieurs milliers de personnes, et attirer nombre de partisans sur sa route vers Ottawa, c’est que la fracture sociale est bien réelle, tout comme le ras-le-bol à l’endroit des mesures sanitaires.

Cette manifestation spectaculaire devrait déclencher une sérieuse réflexion au-delà du seul contexte canadien : une fois que l’épidémie sera chose du passé, serons-nous capables de revenir en arrière et de fermer cet écart grandissant entre deux franges de plus en plus éloignées de la population?

Signe des dérives à venir, des réseaux conspirationnistes québécois lançaient dernièrement une plateforme visant à aider les parents à retirer leurs enfants de l’école pour leur faire les cours à la maison dans le respect de leurs «convictions» antivaccin. Considérant le rôle central de l’école comme vecteur de cohésion sociale et d’unité nationale, ce genre de démarches indique une inquiétante volonté de sécession. Une nation ne saurait tolérer l’émergence d’un imaginaire parallèle qui fédérerait jusqu’à 10% de ses membres dans un état d’insurrection mentale. Ce serait le début d’un délitement dont elle pourrait ne pas se remettre.

Publié dansMédias
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