Texte publié dans La Presse le samedi 26 mars 2022, en lien avec la parution de mon livre Le Schisme identitaire.
Depuis les élections de 2018, qui ont porté au pouvoir la CAQ, le Québec a mis de côté le débat constitutionnel pour basculer pleinement dans l’ère identitaire. Alors que certains prédisaient « la fin des vieilles chicanes », voilà que la question de la nation se pose plus intensément que jamais, dans une société polarisée toujours davantage par des enjeux émotifs, à forte teneur symbolique.
Le débat sur la langue française, assoupi sous prétexte d’une fausse « paix linguistique » depuis des décennies, est réveillé d’un coup par le projet de loi 96. Si ce dernier ne va pas assez loin aux yeux de certains, il ne provoque pas moins l’ire des groupes anglophones et du Parti libéral avec eux. La question qu’il soulève est aussi simple que fondamentale : en 2022, est-il encore légitime d’affirmer que le Québec est un État français ?
Presque deux ans après l’adoption de la loi 21, la laïcité échauffe toujours autant les esprits.
L’expérience historique québécoise, et son rapport particulier à la religion issu de la Révolution tranquille, peuvent-ils faire loi après vingt ans d’hégémonie multiculturaliste ? Ce débat, sans doute le plus polarisant de notre temps, porte réellement sur le droit des Québécois de définir les règles de la citoyenneté et de l’intégration face à une interprétation de plus en plus maximaliste et intransigeante des libertés individuelles.
De la même manière, les seuils d’immigration sont devenus un enjeu névralgique à une époque où notre capacité d’intégration semble atteinte, avec des seuils proportionnellement deux fois plus élevés qu’en France et aux États-Unis. Une fois encore, c’est la possibilité même d’en débattre qui est en jeu.
Les uns brandissent la fameuse « pénurie de main-d’œuvre », censée faire taire tout contradicteur, tandis que les autres feignent l’indignation morale à l’idée qu’on puisse vouloir limiter l’immigration : qui sont les Québécois pour décider qui peut ou non s’installer chez eux ?
Quel avenir pour la nation québécoise ?
À travers ces questions brûlantes, c’est un véritable bras de fer pour la légitimité qui se joue sous nos yeux, une guerre culturelle dont l’objet n’est nul autre que la définition de l’imaginaire québécois, et avec lui de ce qui est acceptable et inacceptable en politique.
La question identitaire oriente inévitablement cette lutte autour du rôle de l’État du Québec : dans l’héritage de « maîtres chez nous », peut-il toujours s’affirmer comme État-nation francophone, ou est-il plutôt condamné à s’emmurer dans un multiculturalisme lui interdisant toute action structurante pour défendre de la culture québécoise ?
Certes, la Coalition avenir Québec est au pouvoir, mais son discours n’est pas dominant pour autant chez les intellectuels qui façonnent chaque jour le récit officiel. Le camp qui parviendra à gagner sur ce front, en imposant sa vision de l’histoire et de l’identité, sera celui qui maîtrisera le jeu politique, forçant par le fait même ses adversaires à jouer selon ses règles pour demeurer respectables. Comme quoi le combat des idées est autant sinon plus important que la joute électorale pour décider l’avenir de la nation québécoise.