Après avoir critiqué avec brio le multiculturalisme et le politiquement correct, Mathieu Bock-Côté attaque à nouveau de front ce qu’il appelle le « régime diversitaire » avec La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, paru aux Presses de la Cité. Tous les dogmes de la gauche woke y passent : racialisme, cancel culture, appropriation culturelle, fragilité blanche, « antifacisme », aucun n’échappe à cette perçante analyse des travers de notre époque.
Si trop de commentateurs se contentent de déplorer les dérives les plus ridicules du mouvement racialiste, le sociologue ne tombe pas dans ce piège et critique les idées à la source de ces débordements. Démontrant brillamment les conséquences délétères de l’idéologie woke sur la cohésion sociale en Occident, il nous invite à retrouver la raison en revalorisant la culture et l’universalisme aux dépens de la couleur de peau et de ce qui nous divise.
Redéfinir le racisme
Au cœur de l’idéologie racialiste, Bock-Côté dénonce une tentative cynique de « s’emparer d’un mot frappé d’une universelle réprobation et de lui coller une nouvelle définition » pour faire avancer des objectifs militants (p. 25). En effet, le racisme dit « systémique » ne voit plus le racisme comme une aberration, mais comme la norme dans un système blanc fondé sur le racisme, où les normes universelles seraient des formes d’oppression. L’acceptation de ce dogme serait nécessaire pour toute société souhaitant se repentir, puisqu’il serait interdit d’en débattre sous peine de verser soi-même dans le racisme.
La stratégie de la gauche woke est transparente, et même revendiquée, dans certains cas : il s’agit de s’emparer d’un mot frappé d’une universelle réprobation et de lui coller une nouvelle définition.
Refusant toute réfutation, l’idéologie racialiste se place en position d’éducation, comme si elle était détentrice de la vérité absolue et que tous ses adversaires souffraient d’ignorance ou de préjugés illégitimes. C’est dans cet état d’esprit dogmatique que s’inscrit le concept de wokisme, « une culture de l’éveil pour inciter la nouvelle génération blanche à prendre conscience de ses privilèges pour mieux les déconstruire » (p. 73). Contre la « fragilité blanche » que diagnostique Robin DiAngelo à ceux qui osent ne pas adhérer à ses thèses fumeuses, Mathieu Bock-Côté dénonce la « fragilité woke », dont souffrent ces militants qui sombrent dans une profonde détresse psychologique par la seule vue d’un mot interdit, et qui réclament censure et safe spaces au nom de leur « sécurité » et de leur bien-être.
Un nouvel impérialisme américain
Identifiant la source du racialisme contemporain dans les campus américains, l’auteur dénonce ces militants pour qui tout « l’Occident serait assimilable au sud des Etats-Unis du temps de la ségrégation » (p. 21). En envisageant toutes les discriminations, peu importe la victime ou le contexte, à travers la lunette de la lutte des Noirs américains dans les années 1960, il va sans dire que le wokisme est aujourd’hui une autre manifestation de l’impérialisme culturel américain.
[L]a langue anglaise devient un symbole d’émancipation pour les populations « racisées » parce qu’elle leur permet d’entrer en contact avec le monde occidental au-delà de leur contexte national. L’Amérique devient un détour mental pour permettre aux « racisés » de renouer avec la « fierté raciale ».
Bock-Côté identifie avec justesse un paradoxe au cœur du racialisme: autant il voit en les États-Unis une histoire basée sur le racisme, autant il contribue à la propagation de sa culture qu’il conçoit comme source d’émancipation pour les minorités, qui pourraient renouer avec la « fierté raciale » à travers la langue anglaise et l’expérience américaine. Ainsi, le racialisme s’impose partout à la manière d’un bulldozer postnational, transformant les sociétés occidentales en provinces mentales de l’empire américain.
Les idées ont des conséquences
Contrairement à ceux qui se permettent de critiquer les dérives de la révolution racialiste sans en aborder les fondements, Mathieu Bock-Côté est catégorique : « le racialisme est intrinsèquement pervers » (p. 32). Comme il l’expose brillamment, quiconque adhère à sa logique se met le bras dans le tordeur et ne peut qu’endosser ses dérives les plus folles, lesquelles sont cohérentes avec ses fondements idéologiques radicaux.
On se désole de ses dérives, sans critiquer ses fondements, comme si ses militants étaient des exaltés de la justice raciale ayant toutefois le malheur d’exagérer un peu.
Par exemple, la cancel culture, retour de l’ostracisme et de la déchéance de citoyenneté, devient justifiée si l’on croit comme les racialistes que les idées contraires aux leurs sont une forme de violence à proscrire. De la même manière, leur vision de la haine à sens unique, celle exprimée par les militants envers les groupes « dominants » n’étant qu’une riposte envers une société intrinsèquement violente, se comprend si l’on suppose que nos sociétés sont réellement fondées sur le racisme et l’oppression. Ainsi, l’auteur a raison de les prendre de front : ce n’est qu’en déboulonnant les concepts qui forment le noyau de l’idéologie racialiste que l’on parvient réellement à en contrer les manifestations néfastes.
Retrouver la culture et l’universel
Après une critique dure, mais toujours soutenue et justifiée, de la révolution racialiste gangrénant le progressisme contemporain, Mathieu Bock-Côté pointe vers la porte de sortie de la crise de la cohésion sociale résultant de l’application de cette idéologie. Pour en finir avec la « polarisation ethnique » et le « fantasme effrayant de la guerre des races », le sociologue nous urge de laisser tomber les étiquettes raciales étanches pour renouer avec la culture, qui bâtit des ponts entre les différences et consolide une identité nationale partagée.
Il importe de renouer avec la notion de peuple. Un peuple n’est pas une race : on peut y adhérer. On peut s’y fondre. On peut embrasser son destin et s’y intégrer.
À l’heure où certains prétendent qu’imposer sa culture chez soi relève du colonialisme et appellent ouvertement à la désagrégation du climat social en excitant la « conscience raciale », une nationalité commune transcendant les appartenances particulières apparaît comme le meilleur moyen de pacifier à nouveau l’Occident et de préserver son héritage culturel.
Voilà l’appel à la raison que livre Mathieu Bock-Côté dans ce livre concis et efficace, à la fois profondément québécois et plus largement occidental. C’est à n’en point douter, La Révolution racialiste est un ouvrage criant d’actualité, qui sait à la fois décortiquer les travers de l’époque et proposer les solutions qui s’imposent pour sortir de l’impasse woke.