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Cette nation que l’on tient pour acquis

Cette semaine, le jeune intellectuel Alexis Tétreault fait paraître aux Éditions VLB son premier livre : La Nation qui n’allait pas de soi : La mythologie politique de la vulnérabilité du Québec. S’inscrivant dans la filiation de grands penseurs comme Léon Dion, Fernand Dumont ou Marcel Rioux, l’auteur s’intéresse aux mythes et aux représentations collectives qui habitent la conscience nationale, dans le but de cerner ces invariants qui fondent la condition québécoise.

Dans La Nation qui n’allait pas de soi, il est question de ce que Tétreault appelle « la mythologie politique de la vulnérabilité », soit cette idée qui a surgi suite à l’échec des rébellions patriotes, selon laquelle la pérennité de la nation québécoise n’est pas acquise. Au contraire, on en vient à prendre conscience de notre précarité dans l’espace nord-américain, ce qui fera dire à François-Xavier Garneau, notre premier historien national, que l’existence tout entière du peuple canadien-français est une lutte pour la survie.

Avec un véritable talent pour l’histoire des idées, l’auteur fait la généalogie de cette idée de Garneau à la Révolution tranquille, en passant par Honoré Mercier et Lionel Groulx, afin de démontrer sa permanence dans l’imaginaire québécois. Surtout, et c’est la thèse principale de l’ouvrage, Alexis Tétreault nous explique que la conscience de sa vulnérabilité n’a rien de paralysant ou de débilitant, c’est au contraire un puissant moteur vers l’action. Ce n’est que lorsque les Québécois ont senti leur existence remise en question qu’ils ont trouvé la force d’agir pour en assurer la suite.

Ce n’est que lorsque les Québécois ont senti leur existence remise en question qu’ils ont trouvé la force d’agir pour en assurer la suite.

Dans un passage qui fera assurément bondir les historiens progressistes qui tiennent à l’opposition absolue entre la Grande Noirceur et la Révolution tranquille, Tétreault démontre habilement que l’indépendantisme s’est nourri de la mémoire de la survivance et de la conscience de notre précarité pour motiver le projet de pays et lui donner un sens. Le rideau de fer érigé en 1960, coupant l’histoire du Québec en deux, apparaît alors bien illusoire.

Si la vulnérabilité de la nation a pu servir de moteur aux grandes avancées des années 1960 et 1970, il semble que cette faculté de prendre la mesure de notre taille soit en panne aujourd’hui. Pour en juger, l’auteur compare le débat sur la loi 101 à celui sur la loi 21, qu’il analyse sous le prisme d’affrontements entre un modèle québécois distinct et la volonté canadienne d’uniformisation. Si, en 1977, la question de la précarité de la « majorité minoritaire » québécoise est au cœur des débats, Tétreault observe son absence dans les discussions sur la loi 21, où tous se comportent comme si la nation québécoise était une majorité souveraine dont l’existence future serait garantie.

C’est se mettre le doigt dans l’œil, rappelle l’auteur. Il fait remonter cette illusion d’une « permanence tranquille » à l’échec référendaire de 1995 et au changement de paradigme qui a suivi, où le Québec n’est plus considéré comme une minorité linguistique à l’échelle continentale, mais comme une majorité tyrannique. Comme son titre l’indique, La Nation qui n’allait pas de soi nous démontre avec force que ce n’est pas le cas, qu’il faut encore se préoccuper de l’avenir de la nation avant qu’il ne soit trop tard.

Tétreault le réaliste met en lumière les vertus du sentiment de notre vulnérabilité : c’est de la conscience de pouvoir perdre quelque chose de précieux que nait la volonté de se battre pour qu’il demeure

L’ouvrage d’Alexis Tétreault est absolument remarquable, d’une érudition et d’une intelligence qui méritent d’être saluées. Il nous rappelle brutalement que le Québec ne va pas de soi, que notre existence fut de tout temps un combat, et que nous aurions bien tort de baisser les bras après 400 ans à faire vivre notre différence sur ce continent. Contre les fatalistes qui croient que la lutte est déjà perdue, et contre les optimistes qui vivent dans l’illusion d’une permanence tranquille, Tétreault le réaliste met en lumière les vertus du sentiment de notre vulnérabilité : c’est de la conscience de pouvoir perdre quelque chose de précieux que nait la volonté de se battre pour qu’il demeure. Voilà la leçon qu’il faut tirer de cet essai dont on se souviendra longtemps.

Publié dansLectures
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