Texte publié dans La Presse, le 3 février 2021.
Samedi dernier, le professeur Jocelyn Maclure faisait paraître dans La Presse un texte intitulé L’équilibre entre la diversité et la qualité, une aporie ?, dans lequel il suppose l’existence d’un rapport d’opposition entre la qualité d’un média et la diversité d’opinions qu’on y retrouve. Cette prémisse, qui nie le sain relativisme vital à toute démocratie, est au cœur de la rhétorique des nouveaux censeurs qui souhaitent aujourd’hui restreindre l’éventail des opinions exprimées dans les médias.
Fausse prémisse
L’idée d’une dichotomie entre qualité et diversité d’opinions n’a de sens que pour réguler les extrêmes. Si l’on a raison de vouloir exclure du débat public des négationnistes de l’Holocauste ou des complotistes qui prétendent qu’un réseau de pédo-satanistes aurait infiltré le Parti démocrate américain, comme le suggère Maclure, c’est d’abord parce que ce qu’ils prétendent n’a rien de vrai. C’est sur des faits indéniables qu’ils se trompent, pas sur des questions qui relèvent de l’opinion, comme la manière d’analyser des faits réels ou une vision de la vie bonne.
Sans accepter ce relativisme démocratique, on ne débat plus avec un égal, on pontifie devant un ignare à qui il faut faire voir la lumière…et tant pis pour le dialogue!
Sur ces questions, un sain relativisme est absolument essentiel à tout débat démocratique digne de ce nom. Autrement, comment accorder à son adversaire la légitimité morale nécessaire pour débattre avec lui dans le respect? Sans accepter ce relativisme démocratique, on ne débat plus avec un égal, on pontifie devant un ignare à qui il faut faire voir la lumière…et tant pis pour le dialogue!
Censurer des adversaires légitimes
C’est précisément là où nous emmènent ceux qui rejettent le relativisme démocratique : la censure de leurs adversaires légitimes. Ainsi, Jocelyn Maclure déplore que « le critère de qualité [soit] aujourd’hui trop souvent sacrifié au profit de l’impératif d’offrir une tribune à des figures associées aux grands courants intellectuels et politiques présents dans la société. »
La position que je veux soumettre au débat est que le critère de qualité est aujourd’hui trop souvent sacrifié au profit de l’impératif d’offrir une tribune à des figures associées aux grands courants intellectuels et politiques présents dans la société.
Il importe de saisir toute l’importance d’une telle affirmation : ce ne sont plus des « coucous » vivant dans les marges qu’il faudrait écarter du débat public, mais bien des figures associées aux grands courants intellectuels et politiques présents en société, rien de moins! Est-ce donc dire que certains grands courants idéologiques québécois seraient de trop piètre « qualité » pour être représentés dans les médias aujourd’hui? L’auteur déplore ensuite, sans le nommer, que Jean-François Lisée puisse travailler comme chroniqueur à Radio-Canada et au Devoir, comme s’il n’y avait qu’une différence de degré entre l’ex-chef péquiste et un négationniste de l’Holocauste ou un défenseur du complot pédo-sataniste!
Ce rapprochement, aussi excessif que ridicule, en dit long sur l’aboutissement de cette logique : l’exclusion systématique des adversaires de l’idéologie dominante, laquelle impose ses propres standards de « qualité ». S’en prendre à Jean-François Lisée de telle façon, lui qui n’a rien d’un extrémiste ou d’un complotiste, révèle les dangers d’une telle dichotomie entre qualité et diversité d’opinions.
La diversité d’opinions, c’est la qualité
Loin d’opposer ces deux idéaux, une conversation démocratique digne de ce nom suppose plutôt que la diversité des opinions exprimées dans l’espace public est intrinsèquement liée à la qualité du débat. En effet, comment le citoyen peut-il se bâtir un point de vue éclairé sur l’actualité si des courants politiques entiers en sont exclus au nom d’un impératif de « qualité »? Inévitablement, celui qui fixera ces standards, peu importe son camp idéologique, se verra injustement favorisé aux dépens de ses adversaires, dans un processus qui n’a rien de démocratique.
Loin d’opposer ces deux idéaux, une conversation démocratique digne de ce nom suppose plutôt que la diversité des opinions exprimées dans l’espace public est intrinsèquement liée à la qualité du débat.
Plus tôt que tard, il faudra se rendre compte que ceux qui prétendent « pousser les citoyens vers le haut » en décidant des opinions acceptables tirent le débat public vers le bas, pour imposer leurs propres idées dans une démocratie appauvrie où seules des nuances de gris seraient acceptées.